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Le démarketing territorial, premier pas vers un tourisme raisonné
Lutter contre l'afflux touristique pour préserver les territoires, c'est une nouvelle stratégie de communication des lieux où la surcharge de population engendrée par le tourisme devient ingérable. Cela porte un nom : le démarketing territorial.
Le démarketing territorial, une nouvelle communication pour les territoires
Qu'est-ce que le démarketing territorial ?
Le démarketing territorial consiste à délivrer une information basée sur le réel plutôt que de mettre en avant l'aspect idyllique d'un lieu, dans le but d'éviter un afflux touristique incontrôlé qui risque de mettre en péril le site.
C'est un principe de communication qui va à l'encontre de la désormais établie "stratégie Instagram" qui consiste à rendre "instagrammable" tous lieux potentiellement touristiques dans le but d'attirer le chaland.
De nouvelles stratégies de communication touristique
Le démarketing territorial s'appuie sur 3 axes complémentaires :
1) Une promotion décalée, à l'instar des Pays-Bas qui réservent pour l'international la promotion de territoires méconnus et consacrent désormais leur communication concernant la ville d'Amsterdam à la gestion de l'afflux touristique.
2) La dé-géolocalisation. La géolocalisation des photos prises par les voyageurs et qui montrent des lieux idylliques ont fait beaucoup de mal à certains sites de la planète. On appelle désormais les voyageurs à indiquer les coordonnées génériques d'un lieu plutôt que sa localisation précise.
C'est le "Tag Responsibly" ou "Taguer de façon responsable", un appel à une communication responsable par les autorités touristiques du "Jackson Hole" au Wyoming.
C'est la stratégie de non-localisation adoptée par le site du patrimoine mondial de Puerto Princesa, aux Philippines qui a purement et simplement fait disparaître certains sites fragiles de ses cartes touristiques.
3) Taper au portefeuille. Plus controversée car inique, cette stratégie consiste à alourdir le budget du touriste. C'est la stratégie à laquelle réfléchit la ville de Venise qui compte obliger tout touriste ne séjournant pas plus d'une nuitée sur place à s'acquitter d'une taxe. Certains site naturels pourraient également adopter ce système, l'argent récolté pouvant alors servir à gérer la préservation des lieux concernés.
Une stratégie déjà adoptée par certains lieux en saturation touristique
Près de Marseille, le Parc National des Calanques délivre une information sur le réel des Calanques, loin des images idylliques qu'on a coutume de voir. On peut constater qu'en saison les mini-plages sont sur-saturées, qu'elles ne sont pas vraiment désertes hors-saison, qu'elles sont difficiles d'accès (embouteillages monstres), que beaucoup d'entre elles ne sont pas surveillées, qu'il n'y a aucun équipement (toilettes, douches etc.) ni aucun lieux de ravitaillement à proximité.
On y apprend aussi, et c'est un autre volet du démarketing territorial, que d'autres lieux proches sont plus à même d'inspirer le voyageur. Ainsi le Parc National des Calanques souligne que les plages de Marseille, Cassis et La Ciotat regroupent tous les avantages touristiques qu'on ne trouvera pas dans les calanques.
L'enjeu de l'hyperfréquentation dans les Calanques vu par @lemondefr Réflexion en cours au sein du CA du @ParcCalanques et premières actions expérimentées dès cette année... à suivre.https://t.co/HJKG0eOdCI
— Parc des Calanques (@ParcCalanques) January 22, 2021
Dans le même temps, le démarketing territorial passe par une information sincère et pragmatique du visiteur : charte d'utilisation des lieux, rappel de la réglementation et des bonnes pratiques, appel au civisme et, pourquoi pas, une invitation à venir réparer les dégâts engendrés par l'afflux touristique.
Le site de Kannaraville Falls dans l'Utah qui possède une source naturelle ayant creusé dans la roche un parcours dangereux mais très "instagrammable" avertit ainsi les visiteurs : "Vous randonnez ici à vos risques et périls !" et met en garde ces derniers contre les risques encourus lors de leur randonnée. Un texte les informe également sur les bonnes pratiques de l'utilisation des lieux et les sensibilise à leur impact sur la flore et la faune locale. Le nombre de visiteurs est limité et un ticket d'entrée est demandé, à prix fixe et non remboursable. Aucun tarif réduit ni tarif de groupe n'est pratiqué. Et le site avertit que sur place il n'y a aucune commodité (restaurant, station-service, magasins…).
L'exemple des Pays Bas
Face à l'afflux ingérable des touristes, la mairie d'Amsterdam (19 millions de touristes par an) entend rendre la ville à ses habitants (qui la quittent massivement) et pour cela réfléchit à employer les grands moyens : interdiction des visites guidées du Quartier Rouge, taxe sur les autres visites de la capitale, lourdes sanctions pour les incivilités commises par les touristes.
Les Pays Bas ont révisé leur stratégie et incitent désormais les touristes à délaisser la capitale pour se tourner vers d'autres destinations, également agréables mais méconnues avec le slogan"Want to See Amsterdam? How About Groningen Instead?"(Vous voulez voir Amsterdam ? Pourquoi ne pas plutôt découvrir Groningen ?).
Dans la même optique, le célèbre logo I amsterdam tant prisé des touristes a été délocalisé en 2018. On ne peut plus le photographier à Amsterdam mais on pourra toujours le retrouver à l'occasion des festivals et événements de la région amstellodamoise.
Pas sûr que cette stratégie territoriale soit très efficace à court terme tellement les habitudes sont prises. Cependant, dans un champ plus large, le principe du dé-marketing permettra d'adopter une posture efficace face à l'ensemble des enjeux environnementaux et à la problématique énergétique. Plutôt à moyen et long terme.